À l’heure du règne des réseaux sociaux, la popularité d’un lieu est mesurée au nombre de likes sur Instagram. Et les restaurants redoublent d’inventivité pour faire grimper leur cote. Mais quels sont les ingrédients qui font le succès d’une adresse ?
Ran, Manko, La Gare… Derrière ces restaurants au succès fou, un seul nom : celui de Benjamin Patou, fondateur de Moma Group et roi des nuits parisiennes. Son secret ? Miser sur une atmosphère festive, un décor puissant et une assiette de qualité – « La sincérité du chef est essentielle, explique-t-il, la nuit comme on l’entendait il y a vingt ans n’existe plus vraiment. (…) L’idéal est de surprendre ses convives en scénarisant le lieu de manière intelligente. » La recette semble fonctionner puisque le groupe, propriétaire d’une dizaine d’endroits à Paris, prévoit un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros en 2019. Et ses adresses ne désemplissent pas : obtenir une table chez Ran un samedi soir relève du défi. Dans ce restaurant franco-japonais justement, les anciens appartements du marquis de La Fayette ont été remis au goût du jour par Tristan Auer pour accueillir la clientèle dans un esprit tokyoïte. Les geishas défilent entre les tables et la carte des cocktails fait la part belle au saké… Dans la même veine, l’ancienne salle des ventes Drouot s’est muée en cabaret moderne avec les soirées burlesques du Manko. Performances déjantées, spectacles aériens, effeuillage… le show, orchestré par Marc Zaffuto et Emmanuel d’Orazio, attire des clients sensibles à l’histoire du lieu, décoré par Laura Gonzalez dans un esprit mix and match : les dorures et le mobilier en bois précieux côtoient les kilims et les mosaïques d’inspiration sud-américaine.
« Laura Gonzalez capture l’essence d’un lieu avec la juste dose de fantaisie pour échapper aux carcans de la décoration », analyse Benjamin Patou, qui lui offre des chantiers depuis quelques années déjà. Lorsque cette dernière entreprend celui du restaurant Lapérouse, elle choisit des tissus fastes et soyeux, restaure les cuirs de Cordoue, redore et réargente le mobilier. « Je me suis inspirée de l'histoire du restaurant, de l'âme particulière des petits salons, de ses clients historiques : les écrivains, les esthètes, les artistes… Il fallait seulement dépoussiérer et décaler un peu les choses », explique celle qui s’est appliquée à « revisiter sans dénaturer ». Pour preuve, ses équipes ont conservé les miroirs rayés par les diamants des courtisanes…
D’autres, comme Philippe Starck, déclinent à l’infini leur idée d’un intérieur réussi. Au Brach, s’il choisit d’accumuler les céramiques, les totems ethniques et les masques africains dans le restaurant, c’est que le mélange a porté ses fruits au Mama Shelter, dont le rooftop est le plus en vue de l’est parisien. Pour créer une atmosphère, l’architecte-designer joue d’un méli-mélo d’objets, de dessins et de photographies, quel que soit le lieu et la saison. « Je dessine tout endroit en bord de
mer comme un château écossais en plein hiver », confie-t-il à propos de l’hôtel cinq étoiles Lily of the Valley, un havre de paix à la Croix-Valmer dont la particularité est d’être ouvert toute l’année, fait rare pour un établissement de ce standing dans la région.
Avec plus de simplicité, chez Girafe, Joseph Dirand conjugue terrasse avec vue ravageuse sur la Tour Eiffel, tonalités fumées, assises de Warren Platner et lambris de bois sombre. Ponctuée de plantes vertes, l’adresse surfe sur la tendance semi-tropicale initiée par Laura Gonzalez à l’Alcazar. Si les restaurants dotés d’un véritable jardin sont rares à Paris, Apicius peut se réjouir de son terrain de 1500 mètres carrésplanté de saules, de cornouillers, d’hydrangeas et de rosiers blancs. Une parenthèse bucolique à deux pas des Champs-Élysées que le paysagiste Pierre-Alexandre Risser, cofondateur du festival « Jardins, Jardin » aux Tuileries, a mis des mois à concevoir. Les prix s’envolent, mais la terrasse ne désemplit pas à l’arrivée des beaux jours…
Au sommet de la butte Montmartre, en retrait de l’avenue Junot, l’Hôtel Particulier cultive quant à lui la carte du secret. Redécorée par l’architecte Pierre Lacroix, cette ancienne propriété de la famille Hermès, puis de la famille Rothschild, n’est autre que le plus petit hôtel de Paris – cinq chambres seulement. Son jardin de 900 mètres carrés imaginé par Louis Benech en fait, selon son propriétaire Oscar Comtet, l’un des derniers espaces classés sous l’appellation de « maquis montmartrois ». « C’est ici que se cachaient les révolutionnaires à l’époque de Louise Michel », dit-il avant d’expliquer que, « paysagiste de formation », il entretient lui-même le jardin. Un défi de taille car entre les ruches, le terrain de pétanque et le poulailler, il faut faire tourner un restaurant pris d’assaut en été.
Loin de négliger l’assiette, ces adresses au décor original s’accompagnent d’une génération de chefs inventifs et déterminés. Chez Takaramono, Alexandre Arnal associe tapas et cocktails afin de varier les saveurs. « Un cocktail frais, légèrement acidulé, avec des notes herbacées (tels que Taka ou Back to Basil, nos deux cocktails signature) se mariera très bien avec un tapas végétal », les gyozas aux tomates séchées, aux aubergines et aux pignons par exemple. De nos jours, assiette et mixologie font bon ménage. Deux écoles semblent pourtant s’affronter concernant l’association mets-cocktails. Olivier Bon, Pierre-Charles Cros et Romée de Goriainoff, fondateurs de l’Experimental Group, avouent que « la consommation de cocktails est devenue presque obligatoire dans un restaurant ». Instinctivement, celui ou celle qui dîne à l’Hôtel des Grands Boulevards fera un détour par le bar à cocktails de l’établissement, The Shell. Sans prôner le cocktail pairing (association d’un plat et d’un cocktail), le trio admet que « la cuisine épicée » est un choix judicieux lorsque l’on souhaite allier cocktails et nourriture.
C’est ici que se dessine un autre phénomène culinaire : la recherche de l’exotisme en cuisine. Popularisée par l’ouverture de Miznon et de son célèbre chou-fleur grillé, la nourriture israélienne est de plus en plus présente sur la scène gastronomique. Chez Balagan, table en vue décorée par Dorothée Meilichzon, comptez plusieurs semaines pour obtenir une réservation et goûter le pain cubane – une réinterprétation de la brioche yéménite à tremper dans la sauce tahini. Kebab «destructuré» à base de bœuf et d’agneau, yaourt, pesto, tapenade et pâte de citron confit, mashi au chou, safran et fromage de chèvre… Les goûts et les textures sont intensifiés par l’atmosphère survoltée qui règne en salle : les cuisiniers chantent en yiddish et les clients dansent sur les tables…
Au Beefbar comme chez Anahi, deux adresses dirigées par Riccardo Giraudi et décorées par Humbert & Poyet, tacos et empanadas garnis de viandes rares – wagyu américain, bœuf de Kobé, bœuf angus d’Argentine – ont remplacé les mets traditionnels. « Le Beefbar est mon restaurant le plus rentable », confie l’entrepreneur monégasque, pour qui la restauration s’apparente à une œuvre d’art : « Un restaurant, c’est comme un Calder, il faut que tout tienne en équilibre, en tension. Si on rate quelque chose, tout tombe. » Le secret d’un restaurant à la mode tiendrait-il donc en plusieurs ingrédients parfaitement dosés ? Benjamin Patou, qui aime « conjuguer en un même lieu une atmosphère forte – plus moins ou festive –, un cadre très singulier et une restauration de qualité », en semble convaincu.
ADRESSES :
Ran, 8 Rue d’Anjou, 75008 Paris, http://ran-paris.com
Manko, 15 Avenue Montaigne, 75008 Paris, http://manko-paris.com
Lapérouse, 51 Quai des Grands Augustins, 75006 Paris, http://laperouse.com
Brach, 1-7 Rue Jean Richepin, 75016 Paris, https://brachparis.com
Lily of the Valley, Colline Saint Michel, Boulevard Abel Faivre, Quartier de Gigaro, 83420 La Croix-Valmer, https://www.lilyofthevalley.com
Girafe, 1 Place du Trocadéro et du 11 Novembre, 75016 Paris, http://www.girafeparis.com
Apicius, 20 Rue d’Artois, 75008 Paris, http://restaurant-apicius.com
Hôtel Particulier Montmartre, 23 Avenue Junot, 75018 Paris, https://www.hotel-particulier-montmartre.com
Takaramono, 3 Rue de la Fidélité, 75010 Paris
Hôtel des Grands Boulevards, 17 Boulevard Poissonnière, 75002 Paris, https://fr.grandsboulevardshotel.com
Balagan, 9 Rue d’Alger, 75001 Paris, http://www.balagan-paris.com
Beefbar, 5 Rue Marbeuf, 75008 Paris, http://paris.beefbar.com
Anahi, 49 Rue Volta, 75003 Paris, https://www.anahi-paris.com
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